Absence d’identité, facteur de blocage de millions d’Haïtiens

29 août 2016

Absence d’identité, facteur de blocage de millions d’Haïtiens

Local residents collect their birth certificates in Leogane on September 15, 2011. The United Nations High Commissioner for Refugees is partnering with local NGO, Action Citoyenne pour l'Abolition de la Torture (ACAT) to provide assistance with obtaining vital documents needed to rebuild lives after the devastating earthquake of January 2010. Photo Victoria Hazou UN/MINUSTAH
Local residents collect their birth certificates in Leogane on September 15, 2011. The United Nations High Commissioner for Refugees is partnering with local NGO, Action Citoyenne pour l’Abolition de la Torture (ACAT) to provide assistance with obtaining vital documents needed to rebuild lives after the devastating earthquake of January 2010.
Photo Victoria Hazou UN/MINUSTAH

Selon les statistiques, plus de trois millions d’Haïtiens vivent sans leur acte de naissance. Donc, sans identité. Cela constitue un vrai facteur de blocage dans leur fonctionnement quotidien.

Job est né en 2011 dans les hauteurs de Pétion-ville. Pourtant jusqu’en août 2016 sa naissance n’a pas été déclarée chez l’officier d’Etat civil de la commune. Son père ne s’en soucie guère car depuis 2004 lui aussi vit sans son acte de naissance. Le dit document a été emporté par les eaux du cyclone Jeanne. Depuis, ses préoccupations paternelles se résument à nourrir sa femme et ses deux enfants.

Job est loin d’être le seul enfant du pays dont la naissance n’a jamais été déclarée chez l’Officier d’Etat civil. « Plus de trois millions d’Haïtiens à travers le pays vivent sans acte de naissance », affirme Philipe Jean Thomas du Groupe Appui aux Réfugiés et Rapatriés (GARR). Ils ont hérité d’un nom. On se souvient parfois de leur année de naissance. Mais ils vivent dans l’anonymat quant à une existence civile. »

Selon le GARR, tout individu n’ayant pas été déclaré chez l’Officier d’Etat civil est sujet à des difficultés de tout genre dans sa vie. Quelqu’un n’ayant jamais existé civilement ne saura obtenir à l’avenir ni une carte d’identification, ni sa licence, ni un extrait des archives, encore moins un passeport etc. Il ne pourra jouir d’aucun droit civil ou politique. Il ne pourra être à même de soumettre un document officiel le cas échéant dans une situation donnée. Même s’il participe à des activités de la vie de tous les jours, il reste limité quant à la pleine jouissance de ses droits et devoirs. « Dans le cadre de notre travail, nous rencontrons des localités de notre commune qui sont sévèrement touchées par ce problème, rapporte Monique Mondésir, officier d’Etat civil de la commune de Pétion Ville depuis 1998. Nous avons découvert plusieurs générations d’une même famille vivant sans jamais exister civilement. Ni les grands parents, ni les enfants, ni les petits enfants ne possèdent un acte de naissance. Beaucoup de gens, lorsqu’ils se présentent à notre bureau pour se marier, sont étonnés d’apprendre qu’ils ne le pourront pas sans présenter un acte de naissance. »

Cette absence d’identité touche systématiquement toutes les générations à travers le pays. « C’est un problème fondamental car l’acte de naissance c’est le point de départ de la vie de chaque individu, précise Monique Mondésir. Le séisme du 12 janvier a aggravé davantage cette situation étant donné que des milliers d’individus ont tout perdu. »  Pourtant, dans l’article 24 alinéa 2 du Pacte international des droits civils et politiques (adopté le 16 décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976) il est dit que : « Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom. »

Le problème de la déclaration de naissance des enfants touche davantage les milieux reculés du pays. « Cela est dû à un manque d’éducation des parents, déduit Jerry Pierre Gilles, assistant chef de service à l’Office de protection du citoyen (OPC). Ils ne savent pas qu’ils doivent déclarer la naissance de leurs progénitures, du coup ces derniers grandissent sans pouvoir bénéficier des droits qu’ils ont à la naissance. »

Le problème ne se pose presque plus pour les enfants qui naissent dans les hôpitaux. En effet, un enfant né à l’hôpital bénéficie d’un certificat de naissance dûment signé par le médecin. Ce document servira à le déclarer devant l’officier d’Etat civil. « La majorité des parents haïtiens mettent leurs bébés au monde à la maison. Cela constitue un vrai problème quant à l’enregistrement de ces derniers dans des coins reculés du pays », précise Jerry Pierre Gilles.

Les faits expliquant que beaucoup d’Haïtiens vivent sans identité sont multiples. Monique Mondésir pointe du doigt les conditions de travail de ceux qui sont chargés d’enregistrer les nouveau-nés. « Les officiers d’Etat civil doivent se procurer eux-mêmes les matériels de travail tels cahiers et registres, informe-t-elle. Avec un salaire mensuel net de 13 678 gourdes ($ 210 US/ 1 $= 65 Gourdes) et très peu de personnels pour faire le travail, ils doivent souvent engager des clercs. Dans ce sens, la faiblesse de l’État y est aussi pour beaucoup.»

L’administration de l’ancien président Joseph Michel Martelly avait pris le décret du 16 janvier 2014 donnant droit à ceux qui n’ont jamais été enregistrés (ou qui ont perdu leurs actes de naissance) de se rendre chez l’officier d’Etat civil de leur commune pour le faire. Des responsables d’organisation des droits humains estiment que ce décret, tel qu’il est appliqué, ne résoudra pas le problème en profondeur, car, pour avoir droit à cet acte de naissance sur la base de la déclaration tardive, l’individu doit être muni d’ « un négatif. » Ce document lui sera accordé par les Archives nationales moyennant un certificat de baptême légalisé par l’archevêché de Port-au-Prince, ou à défaut, d’un acte de notoriété du tribunal. En moyenne cela coûterait à l’individu jusqu’à 2500 gourdes !

« Régulariser le système d’état civil, mettre du matériel adéquat à la disposition des officiers d’Etat civil, renforcer la campagne de sensibilisation de la population sur le sujet » sont quelques-unes des propositions faites aux autorités haïtiennes par Mme Mondésir pour résoudre le problème. Le pays pourra ainsi franchir un pas de géant vers le respect des droits de fils et filles.

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